mardi 9 octobre 2018

Max – Sarah Cohen-Scali






Max – Sarah Cohen-Scali
Date de sortie : 31 Mai 2012
Genre : Histoire (Seconde Guerre Mondiale)
Langue :  
Date de lecture : Septembre 2018

   "19 avril 1936. Bientôt minuit. Je vais naître dans une minute exactement. Je vais voir le jour le 20 avril. Date anniversaire de notre Führer. Je serai ainsi béni des dieux germaniques et l'on verra en moi le premier-né de la race suprême. La race aryenne. Celle qui désormais régnera en maître sur le monde. Je suis l'enfant du futur. Conçu sans amour. Sans Dieu. Sans loi. Sans rien d'autre que la force et la rage. Je mordrai au lieu de téter. Je hurlerai au lieu de gazouiller. Je haïrai au lieu d'aimer. Heil Hitler!"
   Max est le prototype parfait du programme "Lebensborn" initié par Himmler. Des femmes sélectionnées par les nazis mettent au monde de purs représentants de la race aryenne, jeunesse idéale destinée à régénérer l'Allemagne puis l'Europe occupée par le Reich.
   Une fable historique fascinante et dérangeante qu'on ne peut pas lâcher. Une lecture choc, remarquablement documentée, dont on ne sort pas indemne.
Pas de note

   Pas lu.

10/10



    Max, Max, Max ! Un chef-d’œuvre dans son genre ! Il est cru, sale, vulgaire, réaliste ; le nazisme dans toute son horreur, vécu du point de vue d’un enfant nazi. Beaucoup de livres traitent sur cette époque douloureuse qui laissera à jamais le monde stigmatisé. Et je ne pense pas que ce soit de trop, les gens sont tellement ancrés dans leur petit confort, qu’ils oublient par quoi nos ancêtres sont passés. C’est affligeant… Alors oui, certains surfent sur la vague sans même maîtriser leur sujet. Mais ici, nous avons un véritable bijou, un texte d’une cruauté extrême que l’on vit à l’intérieur.

    Je l’ai dévoré à une vitesse fulgurante. 480 pages en quelques jours à peine. J’étais scotchée. Médusée par la façon de penser de Konrad que je trouve, bien sûr, légitime. Dès le début, à l’état de fœtus, il injure, désabusé. Il est persuadé que son véritable père, spirituel, est le Führer et est prêt à se sacrifier pour lui. Sa naissance est dure. On pose le tableau. Le Docteur Ebner mesure les nouveau-nés et ceux qui ne rentrent pas dans les normes aryennes sont des « lapins » qui se font tuer. Konrad grandit là-dedans. Il se fait ensuite arracher à sa mère, cette scission le marque et le rend plus froid. Jusqu’à ce qu’une « sale pute dissidente » comme il la décrit, le soustrait au Lebensborn de Steinhöring en s’enfermant avec lui dans un sous-sol. Sous-alimentée, elle meurt et il reste 3 jours dans ses bras froids qu’il faut découper pour l’extraire. Mais le fait qu’elle l’ait appelé Matchen/Marxen lui a ravivé des souvenirs. Même s’il ne sait plus à quoi ressemble sa mère. La femme lui a raconté avant de mourir de faim que son mari juif s’est fait tuer, qu’un soldat SS l’a frappée et a tué son enfant d’une balle dans la tête.

    Oui, ce livre ne va pas dans la dentelle. Et c’est comme ça tout du long. J’ai aimé le fait que Lukas en plus d’être Polonais soit Juif et intègre l’élite. J’ai lu en notes de fin qu’il se calque sur un personnage réel.
   J’ai été triste à divers moments. Cette déchéance que Konrad trouve normal, parce qu’il a été éduqué comme ça. Qu’il ne voit pas en quoi c’est mal de dénoncer ses amis Polonais et leurs familles.

    Le fait que son ami Wolfgang se fasse tuer, parce qu’il ne savait plus à partir de quels galons il faut saluer un soldat SS. Pas de bras levé à la bonne seconde, bang ! Que de cruauté ! Pauvres enfants arrachés à leur famille pour se faire « germaniser ». On évoque fort peu le gazage des prisonniers et les fours. Ce n’est pas le propos ici. On se focalise vraiment sur la croissance des enfants dans cet ancien asile (les précédents pensionnaires ayant subi une « réaffectation », oui un mot codé pour dire qu’ils se sont fait zigouiller).


    « Des coloriages ! Pour qui me prend-elle ? Je sais déjà lire et compter ! C’est Josefa qui m’a appris. Je suis même capable de faire des opérations de calcul. Comme, par exemple : un sac contient trente bonbons, un Juif en vole vingt-cinq, combien de bonbons reste-t-il dans le sac ? Il en reste 30-25=5. Fastoche ! »

    « Je lui livre mon histoire depuis le début.

    Les sélections qu’a passées la Frau qui devait me porter dans son ventre, avant de s’accoupler à un officier SS, ma naissance au foyer Steinhöring, le remplacement de la Frau par une nourrice, les sélections que j’ai passées moi aussi, comment le Her Doktor Ebner m’a pesé, mesuré, examiné. Les sélections des autres bébés qui pour certains, sont devenus des « lapins » et ont été découpés en morceaux dans des bocaux, sur les étagères des « instituts scientifiques ». Les adoptions des meilleurs éléments du Heim par les familles allemandes, et puis tous les autres foyers qui se sont créés en Europe et dans l’ensemble des pays occupés. Je lui décris la programmation et la fabrication à la chaîne de la future jeunesse allemande dont je suis l’échantillon type, le prototype. Parfait. Irréprochable. »

    Pendant presque toute la narration, Konrad est convaincu du bien-fondé du massacre des autres populations, jugées « inférieures ». Mais sa rencontre avec Lukas le transforme. D’abord parce qu’il est Polonais, mais quand il apprend en prime qu’il est Juif, il hésite à le dénoncer. Parce qu’il le voit comme son frère. Ses préceptes et son cœur luttent l’un contre l’autre.

    Il assiste à la fornication des nazis, les putes réservées aux plus gradés, les Polonaises violées par les grouillots. Et ça ne le choque pas particulièrement. Il considère cela comme instructif, c’est comme ça qu’on fait les bébés.

    Il est convaincu plus tard que les femmes Allemandes ont mal parce que leur fente est prévue pour les officiers SS, pas pour les Russes. Il a une vision étriquée du monde. Lentement détruite par la chute du Reich. Tous ces idéaux qu’il croyait inébranlables et justes, réduits à néant ! Voir les nazis et leur famille se pendre ou s’empoisonner, des gens déféquer par terre sans la moindre dignité, les femmes prises de force par les Russes, sa patrie massacrée par ces derniers quand ils sont ivres…

    Konrad déchante, c’est la dégringolade.

    Pourquoi ce livre s’appelle Max ? Parce que sa mère a choisi ce nom quand il est né, et sans spoiler les événements de la fin, il prend enfin conscience que tout ce qu’il a vécu n’est pas normal. Il saisit à quel point le témoignage est important et pleure pour la première fois de sa vie.

    Que vous soyez passionné ou non par l’histoire, je vous recommande ce livre qui pour moi, est une mine d’informations et d’une grande richesse émotionnelle. Une petite merveille.

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